R. Duroux u.a. (Hrsg.): Enfances en guerre

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Titel
Enfances en guerre. Témoignages d’enfants sur la guerre


Herausgeber
Duroux, Rose; Catherine, Milkovitch-Rioux
Reihe
L'Equinoxe
Erschienen
Genève 2013: Georg éditeur
Anzahl Seiten
269 S.
Preis
URL
Rezensiert für infoclio.ch und H-Soz-Kult von:
Joelle Droux

A l’heure où résonnent de toutes parts les commémorations de la Grande Guerre, l’ouvrage «Enfances en guerre» rappelle opportunément que les soldats n’ont pas été seuls à être affectés par le déroulement des événements guerriers. Les chapitres de ce livre poignant en portent témoignage, en centrant leur propos sur une catégorie d’acteurs jusque-là trop souvent négligée par les travaux scientifiques dédiés à l’histoire des conflits contemporains: les enfants. C’est bien ce qui fait le grand intérêt de cet ouvrage, dont l’ambition était précisément, pour reprendre les mots de ses éditrices, de «porter un regard nouveau sur les enfants comme acteurs, et non seulement comme victimes de guerre» (p. 13). Répondant en cela à l’appel de S. Audouin-Rouzeau dans un livre pionnier,1 l’ouvrage vise en effet à contribuer à l’affirmation d’un nouveau domaine de recherche en histoire qu’est l’étude des documents et archives de guerre produits «à hauteur d’enfant» (pour reprendre l’expression souvent employée par les auteurs ici réunis). Dans un double but: d’une part contribuer à enrichir notre connaissance des phénomènes et des cultures de guerre en les analysant à partir de sources originales, donnant à voir d’autres réalités, d’autres conséquences, d’autres implications que celles rendues visibles par les matériaux d’archives «classiques» (archives institutionnelles de toutes sortes évoquant les champs de bataille ou leurs divers effets sur «l’arrière», sources diplomatiques, témoignages de soldats ou de victimes civiles adultes, etc.). Ici, le parti-pris est de centrer le regard sur une catégorie d’acteurs spécifiques, celle des enfants, en tentant d’interroger leur capacité à produire des documents signifiants sur les phénomènes de guerre. Pour ce faire, le pari a été fait (et c’est le deuxième objectif méthodologique de l’ouvrage) de mettre en oeuvre une démarche interdisciplinaire pour tenter de faire parler ces documents, en croisant une diversité de perspectives et de regards experts: archivistes, spécialistes de littérature, psychiatres, psychologues, acteurs humanitaires et historiens (on trouvera en annexe finale de l’ouvrage la liste des contributeurs) se succèdent ainsi en un dialogue virtuel pour s’efforcer de pointer ce qui distingue le témoin enfant du témoin adulte des phénomènes guerriers propres au 20e siècle. Mais aussi, pour montrer en quoi sa production spécifique (dessins, témoignages, souvenirs) peut aider les sciences sociales à penser, voire à repenser, ces mêmes phénomènes.

Virtuel, mais pas seulement: le présent ouvrage résulte en effet d’un colloque, bien réel celui-là, qui a eu lieu à Paris en 2011 autour de cette même thématique, en interaction avec un projet de recherche et divers autres événements, notamment une exposition de dessins d’enfants à partir desquels plusieurs des contributions de l’ouvrage ont bâti leurs démonstrations. D’ailleurs, on ne peut que recommander la consultation de l’ensemble de la documentation ainsi produite, tant elle est consubstantielle aux propos et aux illustrations insérés dans l’ouvrage, et tant elle est facile d’accès grâce à sa mise en ligne (www.enfance-violence-exil.net).

Au coeur de cette collection comme du livre «Enfances en guerre», l’oeuvre du couple Brauner, Françoise et Alfred, occupe une place de choix: c’est par le biais de ces deux personnalités que la problématique de l’usage et de l’interprétation des témoignages d’enfants (spécialement leurs dessins) a dès l’abord suscité l’intérêt des spécialistes, et tout particulièrement des historiens. De fait, leurs expériences et leur approche en matière de collecte et de valorisation de cette source originale occupe une large place dans l’ouvrage. Tout d’abord à travers des contributions de personnalités qui leur ont été proches, réunies dans la première partie du livre («A propos de Françoise et d’Alfred Brauner»). Mais c’est aussi en tant que producteurs d’analyses que le couple est également étudié, notamment par le biais de leur apport à la constitution de l’étude de dessins d’enfants comme champ de recherche dans l’espace francophone. La deuxième partie de l’ouvrage, «Le dessin d’enfant comme objet d’étude», aborde cette problématique et offre aux historiens de très éclairantes pages méthodologiques, en particulier par la contribution de Manon Pignot. Celle-ci souligne les nouveaux savoirs que cette source peut offrir aux historiens des faits guerriers. De nouveaux savoirfaire y sont aussi déployés, notamment par la contribution d’Emilie Lochy, qui élabore une analyse fine de ces matériaux archivistiques produits par des enfants pour montrer et démontrer leur pertinence dans l’étude des constructions identitaires enfantines en temps de guerre. Encore faut-il que ces documents aient été conservés: c’est le grand mérite de l’article de l’archiviste de l’American Friends Service Committee (Philadelphie) que d’inciter les historiens de se plonger dans les archives de diverses ONG pour y retrouver ce type de matériel et l’intégrer à leur perspective de recherche.

C’est en effet une des caractéristiques des guerres contemporaines que d’avoir suscité tout à la fois un déploiement sans précédent de violences guerrières, mais aussi un surgissement non moins spectaculaire d’activités humanitaires destinées à en tempérer les effets. De fait, de nombreuses contributions réunies dans cet ouvrage intéresseront tout autant les spécialistes de l’histoire de la guerre, de l’enfance, ou de l’aide humanitaire, comme le démontre la troisième partie consacrée au «Moment de la guerre d’Espagne». Moment fondateur pour les Brauner dans leur parcours personnel au service de l’enfance en danger de guerre, comme l’évoquent Rose Duroux et Celia Keren. Mais tournant aussi dans l’histoire des actions de secours aux enfants telles que les dépeignent les articles de Veronica Sierra Blas et d’Alicia Pozo-Gutierrez. Consacrées respectivement aux enfants espagnols exilés en URSS ou en Grande-Bretagne, ces deux contributions illustrent le potentiel des témoignages (recueillis ou à collecter) pour donner à voir et à comprendre «à hauteur d’enfants» les effets des actions charitables internationales inventées pour venir au secours de l’enfance victime de guerre. A cet égard, soulignons au passage que pour être encore plus pertinentes, certaines de ces démonstrations gagneraient sans nul doute à mieux prendre en compte les acquis et questionnements du nombre croissant de travaux produits depuis plus d’une décennie sur l’histoire de l’humanitaire (notamment par des chercheurs anglo-saxons). Les témoignages d’enfants pourraient en effet fournir d’utiles contrepoints à une histoire de l’aide humanitaire encore trop souvent institutionnelle, et majoritairement orientée vers les «bienfaiteurs» (leurs objectifs, leurs moyens, leur profil), au détriment des «assistés» (leurs attentes, leurs besoins, leur devenir). Tout un champ de recherche s’ouvre ici, dont l’exploitation future promet d’alimenter nos connaissances encore bien limitées sur la genèse et l’affirmation de ce phénomène historique de grande ampleur qu’est l’humanitaire d’aprèsguerres (guerres civiles, coloniales, post-coloniales, froides).

C’est d’ailleurs sur ce terrifiant diaporama de la diversité des guerres contemporaines que se clôt la partie de l’ouvrage dédié aux contributions «traditionnelles» lors du colloque originel, avec l’ensemble des «Expériences et représentations enfantines des guerres et génocides». Successivement, les auteurs y déroulent le fil des conflits contemporains en Palestine, en Tchétchénie, en Arménie, au Rwanda, au Guatemala, tels que vus à travers les dessins et productions enfantines que ces affrontements ont pu induire. La démonstration de la pertinence du témoignage enfantin comme source pour mieux saisir les impacts de phénomènes guerriers y perd sans doute en profondeur méthodologique, à l’image des contributions d’Amina Rachid ou de Janine Altounian, centrées sur des témoignages et souvenirs d’adultes, dont le statut spécifique aurait mérité une mise en perspective au vu de la thématique générale du colloque. C’est d’autant plus dommage que l’ouvrage a pour ambition de lancer une direction de recherche nouvelle: des considérations méthodologiques argumentées sur un propos et un matériel «concret» permettraient à coup sûr de mobiliser des jeunes chercheurs sur ces questions en leur suggérant des pistes, des problématiques, des questionnements sur l’histoire au prisme du regard enfantin. Par ailleurs, on pourrait reprocher à cette quatrième partie de ne pas épuiser la grande diversité des expériences enfantines de la guerre, qui sans doute ne se résument pas uniquement aux violences et aux deuils: le temps de guerre, comme l’ont montré des travaux récents,2 c’est aussi, pour les enfants, une métamorphose des rapports intrafamiliaux, des contenus scolaires, des activités ludiques, des consommations quotidiennes, de l’insertion professionnelle pour les jeunes … dont il conviendra aussi de lancer l’étude en mobilisant ces sources nouvelles.

Alors certes les auteurs rassemblés ici, qu’ils soient issus de la nébuleuse humanitaire, témoins ou descendants de témoins, ne consacrent que peu de lignes à ces considérations. Le propos général y gagne par contre en puissance de conviction et en démonstration d’une force: celle de la voix et du regard enfantin qui crient silencieusement, sur le papier, leur traversée de la guerre et de ses horreurs.

Un chapitre au-delà du poignant, donc, qui débouche sur une partie conclusive quant à elle un peu hétérogène: faite d’interventions retranscrites d’une table ronde, d’un témoignage sur le Rwanda, d’entretiens et de bilans tirés successivement par Stéphane Audouin-Rouzeau et Manon Pignot, cette partie se clôt sur une analyse mesurée du potentiel, pour les chercheurs en sciences sociales, d’une exploitation de ces productions enfantines. Un bilan qui pointe tout d’abord le caractère opératoire de ces productions enfantines pour mieux comprendre les phénomènes de guerre, pour autant que ces sources, comme tout autre matériel soumis à l’investigation historique, soient dûment critiquées, remises en contexte, et confrontées avec d’autres archives. Mais il faut encore, et Manon Pignot y insiste judicieusement, que ces analyses ne restent pas «confinées» au statut de preuve mise au service du seul postulat de leur pertinence. Autrement dit, comme toute autre source historique, les productions enfantines doivent être mobilisées pour alimenter une problématique de recherches (M. Pignot en suggère quelquesunes), et non pas uniquement pour valider le concept de l’enfant-acteur (et pas simplement victime) de l’histoire guerrière ou de l’histoire tout court.

Au final, ce livre aura le mérite de démontrer que les témoignages et les productions enfantines représentent une source qu’il conviendra donc de traquer (dans les écoles, les familles, les institutions publiques ou privées), ou de re-susciter (dans les mémoires des jeunes ou des adultes qu’ils et elles sont depuis devenus). Mais aussi, et surtout d’exploiter pour ce qu’elle peut nous dire, «à hauteur d’enfant», de l’histoire de nos sociétés, de leurs conflits et de leurs (re)constructions.

1 Stéphane Audoin-Rouzeau, La Guerre des enfants 1914–1918. Essai d’histoire culturelle, Paris 1993.
2 Susan R. Fisher, Boys and girls in no man’s land. English-Canadian children and the First World War, Toronto 2011; Manon Pignot, Allons enfants de la patrie. Génération Grande Guerre, Paris 2012; Rosie Kennedy, The Children’s war. Britain, 1914–1918, Basingstoke 2014.

Zitierweise:
Joelle Droux: Rezension zu: Rose Duroux, Catherine Milkovitch-Rioux (Eds.), Enfances en guerre. Témoignages d’enfants sur la guerre, Genève: L’Equinoxe, 2013. Zuerst erschienen in: Schweizerische Zeitschrift für Geschichte Vol. 64 Nr. 3, 2014, S. 535-538.

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Zuerst veröffentlicht in

Schweizerische Zeitschrift für Geschichte Vol. 64 Nr. 3, 2014, S. 535-538.

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